Aubert Jansem Sculpture

un mois, une sculpture
Bronze

Yvan Larsen, Le tamanoir

Yvan Larsen (né en 1924)
Le tamanoir, 1924
Epreuve en bronze à patine verte.
Fonte d’édition sans marque ni cachet de fondeur.
57 x 163 x 39 cm (hors tout)

Collection du Fonds d’art contemporain de la Ville de Genève (FMAC)
[n° inv 1969-010]

Notre tamanoir semble retourner au Muséum après une joyeuse promenade dans le jardin adjacent du musée de l’horlogerie.

Une bien calme balade en comparaison de celle de son cousin parisien qui s’affiche en compagnie de Salvador Dali dans les pages de ParisMatch en 1969.

« Salvador Dali sortant du sous-sol du subconscient tenant en laisse un tamanoir romantique, l’animal qu’André Breton avait choisi comme ex-libris » légende rédigée par Dali
Metro Bastille, 1969, image Paris Match

Salvado Dali affirmera à son égard
« imaginons que les fourmiliers géants atteignent des tailles plus grandes que le cheval, possèdent d’énormes férocités, ayant un pouvoir musculaire exceptionnel, ils seraient des animaux terrifiants. »

Bien loin des frayeurs de Dali, notre grand fourmilier, considéré dans le folklore des peuples de l’Amazonie comme un esprit malin plein d’humour, celui qui trompe le puma et le jaguar semble revenir d’une fructueuse chasse aux fourmis . Fourmis que détestaient Salvador Dali et André Breton d’ailleurs :

Le caractère de l’animal décidera André Breton à en faire son ex-Libris :

Ex Libris d’André Breton par Salvador Dali

 

Dans son poème, « Sludge le médium », traduit de l’anglais en 1922, Robert Browning s’identifie au fourmilier, placide dans son attente et pourtant vif à saisir sa proie.
André Breton cite « Sludge le médium » dans le sixième de ses Entretiens avec André Parinaud (Gallimard 1952).
Selon Marguerite Bonnet, cette « attente à la fois neutre et alertée devant les êtres et les choses », est pour André Breton l’essentiel de l’attitude poétique.

La simplification des formes de notre sculpture révèle une anatomie parfaitement maitrisée et une excellente connaissance de l’animal, fruit d’années d’études des animaux et de pratique de la taxidermie au Museum ou Yvan Larsen a travaillé jusqu’en 1987.

Yvan Larsen, passionné par les animaux affirme détester le mouvement, c’est pourtant une belle promenade qu’il offre à ce poétique animal.

Bruno Jansem

Sources :
association Atelier André Breton
http://www.andrebreton.fr

 

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Lieu :
Route de Malagnou 15,
parc du Musée de l’horlogerie
1206 Geneve

 

Henry Moore, Reclining figure : Arch leg, 1969/1970

Henry Moore (898-1986)
Reclining figure : Arch leg, 1969/1970
Epreuve en bronze patiné
Fonte d’édition faisant partie du tirage original de H. Noack, Berlin
Justificatif de tirage, numérotée 4/6
Cachet de fondeur
Signée
Haut. 244 cm – Long. 427 cm – Larg. 153 cm
Terrasse: 466 x 206 cm

D’une édition de 6 exemplaires plus 1. Les autres exemplaires connus se situant:
– la Fine Art Gallery de San Diego, Californie,
– Hakone Museum, Japon
– Museo Coleçao Berardo, Lisbonne,
– Mr and Mrs Gordon Bunshaft, New York

 

Mais que fait donc une sculpture de Henry Moore sur la promenade de l’observatoire à Genève ?,

lui dont on ne compte que de trop rares sculptures dans les collections publiques suisses.
C’est une question que je ne me posais jamais, quand enfant, sur le trajet de retour de l’école, je m’arrêtais pour jouer à grimper sur ce géant en bronze, sans douter de l’évidence de sa présence.
Quelques 30 ans plus tard, sans plus grimper dessus, hélas, je me la pose.

Que fait donc cette oeuvre monumentale dans les jardins de la promenade de l’observatoire ?.
Vous me répondrez que faisant partie des collections du Musée d’Art et d’Histoire et compte tenu de son volume, l’emplacement parait découler de soi.
Pourtant, c’est bien Henry Moore lui-même qui décida du lieu d’exposition de sa sculpture, en 1974, lors de l’acquisition de la pièce par le musée. Et l’on comprend mieux ce choix quand on connait le rapport de l’oeuvre à son environnement traité plus bas.
On ne peut alors qu’imaginer les scènes dantesques liées à l’installation d’une sculpture pesant plus de deux tonnes.
L’artiste fut un ami proche de Gérald Cramer, à l’instar d’un Picasso, Chagall ou Miro qui vinrent pour partie d’entre eux rendre visite à leur éditeur genevois.
Et c’est grâce à cette amitié et par l’intercession dudit éditeur que la ville de Genève vint à acquérir une oeuvre du déjà fameux sculpteur anglais.

Fabuleux exemple du travail de l’artiste en ce que le vide définit autant la forme que le plein.
La force de l’oeuvre tient dans le dialogue et la confrontation qu’engagent ces deux absolus qui tout en ne formant plus qu’un produisent une tension inhérente à un vocabulaire duel.
A l’exemple de l’art maya et en particulier toltèque, dont Moore sera extrêmement sensible, son oeuvre nous révèle que l’expression dans son absolu se soumet à la forme primitive.

Tels les leçons d’un Paul Klee, qui trouvent, grâce à Henry Moore, leur application dans l’art difficile de la sculpture, une oeuvre n’est pas l’imitation de la nature, mais sa transcendance à travers l’essence même de la forme. Les codes réduits alors à leur vocabulaire le plus synthétique, à leur substance la plus irréductible.

La figure inclinée, récurrente tout au long de son oeuvre, est le fil rouge présent dans toutes les périodes de son travail. Composée de formes organiques et désormais en deux parties, fruit d’une longue évolution, elle suggère les mouvements des collines, vallons, rochers ou toute autre contours ou galbes que compte la nature et auxquels répond l’oeuvre dans toute sa métaphore.

A sa nièce qui lui demande la raison de la simplicité de ses titres, Moore répond :
« Tout art doit avoir un certain mystère et doit interroger le spectateur. Donner à une sculpture ou à un dessin un titre trop explicite enlève une part de ce mystère, et ainsi le spectateur se déplace vers l’objet suivant, sans faire l’effort de mesurer le sens de ce qu’il vient de voir. Tout le monde pense avoir regardé l’oeuvre, mais en fait pas vraiment, tu sais. »

Henry Moore,
Reclining figure : Arch leg, 1969/1970
Tirage photographique argentique contrecollé sur carton
Bibliothèque de Genève

Citation originale :
« All art should have a certain mystery and should make demands on the spectator. Giving a sculpture or a drawing too explicit a title takes away part of that mystery so that the spectator moves on to the next object, making no effort to ponder the meaning of what he has just seen. Everyone thinks that he or she looks but they don’t really, you know. »

Lorraine Aubert

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Lieu:
Parc de l’observatoire
Rue Charles-Galland 2,
1206 Genève

La statue équestre du général Dufour

Karl Alfred Lanz (1847-1907)
Statue équestre du Général Dufour
Sculpture en bronze patiné
Dim : non prises faute d’échelle adaptée !!!

Originaire de Berne, mais installé à Paris une partie de sa carrière, Karl Alfred Lanz fut un des sculpteurs suisses les plus côtés de son temps.
A son palmarès, le monument à la gloire de Henri Pestalozzi à Yverdon (pionnier de la pédagogie moderne), la médaille d’or à l’Exposition Universelle de 1889 à Paris, le monument Louis Ruchonnet (grand législateur et conseiller fédéral) à Lausanne, les bustes et sculptures réalisés pour le Musée des Beaux-Arts et le Palais Fédéral de Berne…et évidemment la statue équestre du Général Dufour.

Revenons un peu sur la personnalité de ce dernier :
Le général Guillaume Henri Dufour, que l’on croise et recroise inlassablement, à pied, à vélo ou en voiture, au détour d’un trajet via la place de Neuve, n’est en effet autre qu’un des fondateurs de la Croix Rouge en 1863 et le au combien célèbre héros de la guerre du Sonderbund en 1847, prélude à la naissance de la Suisse moderne dotée d’une nouvelle constitution démocratique (1848). Dans un cas comme dans l’autre, connu pour ses talents stratèges et son empathie pour le sort des blessés aux champs de bataille, dont il avait eu un large aperçu lors de ses études de médecine militaire qu’il effectua avant de rentrer à l’école polytechnique de Paris.

Mais ce que l’on connait moins c’est son grand oeuvre d’ingénieur civil : on lui doit notamment :
– la 1ère carte topographique suisse, qui prendra notamment les pierres du Niton comme référence d’altitude (le plus haut sommet de Suisse, qui culmine à une altitude de 4 634 m, sera baptisé la pointe Dufour à son honneur)
– l’aménagement des quais de la rade (quai des Bergues, Grand-quai, aujourd’hui quai du Général Guisan, pont des Bergues et Ile Rousseau, tels que nous les connaissons encore aujourd’hui)
– celui du jardin botanique dans le parc des Bastions (lequel déménagera en 1904 à son emplacement actuel, laissant alors notamment place au mur des réformateurs)
– le développement de la navigation sur le lac par bateaux à vapeur, à une époque où le chemin de fer n’existait pas encore (inauguration de la première ligne en 1858)
– la création de l’école militaire de Thoune
– l’avènement d’un drapeau militaire qui soit commun pour toute la Suisse en 1840, et qui deviendra en 1889, le drapeau fédéral, enrichi toutefois de quelques modifications de dimensions par le conseil fédéral.
Ce, pour n’en citer que quelques uns….

Du fait de sa victoire au Sonderbund, le général, à son grand dam, se vit le sujet de nombreux honneurs, et d’un exceptionnel marchandising avant l’heure…Il écrira en décembre 1847 « Ces portraits m’assassinent. Mais ce n’est pas tout : il y a maintenant du tabac Dufour, des pipes idem. On fait à Paris des gâteaux Dufour, et cela a l’air d’une mauvaise plaisanterie. Je parais en crème au chocolat… c’est affreux ! »
Et sans oublier le fameux gâteau Général Dufour en mille feuille et glaçage encore confectionné de nos jours par la confiserie Hautlé en Vieille Ville…

Inauguration de la statue du Général Dufour, Place Neuve, le 2 juin 1884
(BGE, Centre d’iconographie genevoise)

Mais les honneurs ne cesseront pas avec sa disparition en 1875.
Neuf ans plus tard, en 1884, une sculpture fut érigée, par souscription nationale, à l’emplacement même de ses bureaux, qui se situait au 1er étage du bâtiment qui formait la monumentale porte Neuve, auquel on accédait par un pont-levis établi sur les larges fossés appelés la grande-mer. Le bâtiment fut démonté en 1853 (l’écusson aux armoiries de Genève qui ornait le fronton du bâtiment est d’ailleurs conservé à la maison Tavel) et les fossés comblés, créant ainsi une vaste esplanade qui deviendra la place de Neuve dont la configuration changera à peine depuis l’érection de la sculpture.

La porte Neuve vue des fossés vers 1850
(BGE, Centre d’iconographie genevoise)

Le choix iconographique du comité qui confia ce projet au sculpteur bernois Karl Alfred Lanz n’est évidemment pas neutre.
Statue équestre, bien entendu, emblème du chef militaire par excellence, qui n’est pas sans nous rappeler les fiers condottieri de la Renaissance italienne.
Mais ici, on veut honorer autant le stratège et victorieux que le pacificateur et génie civil.
Des trois postures cavalières, repos, (les quatre pattes au sol), trot (une patte antérieure levée) et galop (deux pattes levées), c’est en effet la seconde, pouvant être associée à la symbolique de la paix et de la clémence, qui fut choisie pour lui rendre hommage.
Le main droite tendue vers l’avant exprime également une retenue pacificatrice, un geste d’apaisement qui vient composer avec l’image solennelle de la statuaire équestre symbolisant la force militaire.
Et peut-être que dos à la Vieille Ville et face aux plaines de Plainpalais et aux prés des Acacias, alors en plein essor commercial, ne forme t-il pas l’écho de l’ouverture et du fort développement de Genève tout en observant du haut de son fier piédestal les incessants fracas et bouleversements de l’histoire.

Lorraine Aubert

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Lieu:
Place Neuve
1204, Genève, Suisse