Aubert Jansem Sculpture

un mois, une sculpture
Sculpture

Robert Hainard, Marmotte dressée, 1964

Robert Hainard (1906-1999)
Marmotte dressée, 1964
Sculpture en roche calcaire
Exécutée en taille directe
Signée
Haut. 98 cm – Larg. 34 cm – Prof. 46 cm

Artiste pluridisciplinaire combinant avec un rare talent les métiers de graveur, sculpteur, dessinateur, auteur et….taxidermiste, Robert Hainard est un des sculpteurs les plus emblématiques de l’art animalier suisse. Chaque aspect de ses talents le sert dans l’observation de l’animal, l’élaboration de son art et la sculpture en taille directe si difficile à appréhender lorsqu’il s’agit de restituer une posture que l’animal sait rendre si singulière.

Les postures ainsi étudiées gardent une authenticité qui rendent les sculptures si touchantes et nous interpellent avec tant d’humour et d’à-propos.

Immortalisé par la publicité Milka « Et la marmotte met le petit chocolat dans le papier alu…. », cet animal fouisseur dont la morphologie s’adapte si extraordinairement à son hibernation de 5 mois, ayant fuit les steppes et plaines suite à l’action de l’homme pour trouver refuge dans les montagnes, incarne parfaitement cette empathie de l’homme pour l’animal si bien illustrée ici.

La marmotte dressée est une des premières sculptures installées dans le parc de Malagnou en 1967.
Contrairement aux autres grands parcs de la ville, parcs privés d’anciennes maisons de maître devenus publics, le parc de Malagnou est, quant à lui, créé entre 1959 et 1968 par la réunion de quatre parcelles comprenant d’une part trois villas du XIXème abritant désormais des institutions culturelles genevoises, et d’autre part le Museum d’histoire naturelle.

La marmotte endommagée en 2015 et après restauration en 2017

Victime de vandalisme en 2015, la Marmotte dressée avait subi d’importants dégâts au museau et à l’oeil. Après avoir été restaurée in situ, elle a retrouvé  son aspect originel et dressée sur son rocher en contrepoint de l’escalier d’entrée, peut à nouveau surveiller l’importante activité des visiteurs du Museum ou des badauds et riverains venus chercher un peu de fraicheur à l’ombre des arbres centenaires.

 

Lorraine Aubert


Lieu
Museum d’Histoire Naturelle
Route de Malagnou 1,
1208 Genève

Yvan Larsen, Le tamanoir

Yvan Larsen (né en 1924)
Le tamanoir, 1924
Epreuve en bronze à patine verte.
Fonte d’édition sans marque ni cachet de fondeur.
57 x 163 x 39 cm (hors tout)

Collection du Fonds d’art contemporain de la Ville de Genève (FMAC)
[n° inv 1969-010]

Notre tamanoir semble retourner au Muséum après une joyeuse promenade dans le jardin adjacent du musée de l’horlogerie.

Une bien calme balade en comparaison de celle de son cousin parisien qui s’affiche en compagnie de Salvador Dali dans les pages de ParisMatch en 1969.

« Salvador Dali sortant du sous-sol du subconscient tenant en laisse un tamanoir romantique, l’animal qu’André Breton avait choisi comme ex-libris » légende rédigée par Dali
Metro Bastille, 1969, image Paris Match

Salvado Dali affirmera à son égard
« imaginons que les fourmiliers géants atteignent des tailles plus grandes que le cheval, possèdent d’énormes férocités, ayant un pouvoir musculaire exceptionnel, ils seraient des animaux terrifiants. »

Bien loin des frayeurs de Dali, notre grand fourmilier, considéré dans le folklore des peuples de l’Amazonie comme un esprit malin plein d’humour, celui qui trompe le puma et le jaguar semble revenir d’une fructueuse chasse aux fourmis . Fourmis que détestaient Salvador Dali et André Breton d’ailleurs :

Le caractère de l’animal décidera André Breton à en faire son ex-Libris :

Ex Libris d’André Breton par Salvador Dali

 

Dans son poème, « Sludge le médium », traduit de l’anglais en 1922, Robert Browning s’identifie au fourmilier, placide dans son attente et pourtant vif à saisir sa proie.
André Breton cite « Sludge le médium » dans le sixième de ses Entretiens avec André Parinaud (Gallimard 1952).
Selon Marguerite Bonnet, cette « attente à la fois neutre et alertée devant les êtres et les choses », est pour André Breton l’essentiel de l’attitude poétique.

La simplification des formes de notre sculpture révèle une anatomie parfaitement maitrisée et une excellente connaissance de l’animal, fruit d’années d’études des animaux et de pratique de la taxidermie au Museum ou Yvan Larsen a travaillé jusqu’en 1987.

Yvan Larsen, passionné par les animaux affirme détester le mouvement, c’est pourtant une belle promenade qu’il offre à ce poétique animal.

Bruno Jansem

Sources :
association Atelier André Breton
http://www.andrebreton.fr

 

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Lieu :
Route de Malagnou 15,
parc du Musée de l’horlogerie
1206 Geneve

 

Henry Moore, Reclining figure : Arch leg, 1969/1970

Henry Moore (898-1986)
Reclining figure : Arch leg, 1969/1970
Epreuve en bronze patiné
Fonte d’édition faisant partie du tirage original de H. Noack, Berlin
Justificatif de tirage, numérotée 4/6
Cachet de fondeur
Signée
Haut. 244 cm – Long. 427 cm – Larg. 153 cm
Terrasse: 466 x 206 cm

D’une édition de 6 exemplaires plus 1. Les autres exemplaires connus se situant:
– la Fine Art Gallery de San Diego, Californie,
– Hakone Museum, Japon
– Museo Coleçao Berardo, Lisbonne,
– Mr and Mrs Gordon Bunshaft, New York

 

Mais que fait donc une sculpture de Henry Moore sur la promenade de l’observatoire à Genève ?,

lui dont on ne compte que de trop rares sculptures dans les collections publiques suisses.
C’est une question que je ne me posais jamais, quand enfant, sur le trajet de retour de l’école, je m’arrêtais pour jouer à grimper sur ce géant en bronze, sans douter de l’évidence de sa présence.
Quelques 30 ans plus tard, sans plus grimper dessus, hélas, je me la pose.

Que fait donc cette oeuvre monumentale dans les jardins de la promenade de l’observatoire ?.
Vous me répondrez que faisant partie des collections du Musée d’Art et d’Histoire et compte tenu de son volume, l’emplacement parait découler de soi.
Pourtant, c’est bien Henry Moore lui-même qui décida du lieu d’exposition de sa sculpture, en 1974, lors de l’acquisition de la pièce par le musée. Et l’on comprend mieux ce choix quand on connait le rapport de l’oeuvre à son environnement traité plus bas.
On ne peut alors qu’imaginer les scènes dantesques liées à l’installation d’une sculpture pesant plus de deux tonnes.
L’artiste fut un ami proche de Gérald Cramer, à l’instar d’un Picasso, Chagall ou Miro qui vinrent pour partie d’entre eux rendre visite à leur éditeur genevois.
Et c’est grâce à cette amitié et par l’intercession dudit éditeur que la ville de Genève vint à acquérir une oeuvre du déjà fameux sculpteur anglais.

Fabuleux exemple du travail de l’artiste en ce que le vide définit autant la forme que le plein.
La force de l’oeuvre tient dans le dialogue et la confrontation qu’engagent ces deux absolus qui tout en ne formant plus qu’un produisent une tension inhérente à un vocabulaire duel.
A l’exemple de l’art maya et en particulier toltèque, dont Moore sera extrêmement sensible, son oeuvre nous révèle que l’expression dans son absolu se soumet à la forme primitive.

Tels les leçons d’un Paul Klee, qui trouvent, grâce à Henry Moore, leur application dans l’art difficile de la sculpture, une oeuvre n’est pas l’imitation de la nature, mais sa transcendance à travers l’essence même de la forme. Les codes réduits alors à leur vocabulaire le plus synthétique, à leur substance la plus irréductible.

La figure inclinée, récurrente tout au long de son oeuvre, est le fil rouge présent dans toutes les périodes de son travail. Composée de formes organiques et désormais en deux parties, fruit d’une longue évolution, elle suggère les mouvements des collines, vallons, rochers ou toute autre contours ou galbes que compte la nature et auxquels répond l’oeuvre dans toute sa métaphore.

A sa nièce qui lui demande la raison de la simplicité de ses titres, Moore répond :
« Tout art doit avoir un certain mystère et doit interroger le spectateur. Donner à une sculpture ou à un dessin un titre trop explicite enlève une part de ce mystère, et ainsi le spectateur se déplace vers l’objet suivant, sans faire l’effort de mesurer le sens de ce qu’il vient de voir. Tout le monde pense avoir regardé l’oeuvre, mais en fait pas vraiment, tu sais. »

Henry Moore,
Reclining figure : Arch leg, 1969/1970
Tirage photographique argentique contrecollé sur carton
Bibliothèque de Genève

Citation originale :
« All art should have a certain mystery and should make demands on the spectator. Giving a sculpture or a drawing too explicit a title takes away part of that mystery so that the spectator moves on to the next object, making no effort to ponder the meaning of what he has just seen. Everyone thinks that he or she looks but they don’t really, you know. »

Lorraine Aubert

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Lieu:
Parc de l’observatoire
Rue Charles-Galland 2,
1206 Genève

La statue équestre du général Dufour

Karl Alfred Lanz (1847-1907)
Statue équestre du Général Dufour
Sculpture en bronze patiné
Dim : non prises faute d’échelle adaptée !!!

Originaire de Berne, mais installé à Paris une partie de sa carrière, Karl Alfred Lanz fut un des sculpteurs suisses les plus côtés de son temps.
A son palmarès, le monument à la gloire de Henri Pestalozzi à Yverdon (pionnier de la pédagogie moderne), la médaille d’or à l’Exposition Universelle de 1889 à Paris, le monument Louis Ruchonnet (grand législateur et conseiller fédéral) à Lausanne, les bustes et sculptures réalisés pour le Musée des Beaux-Arts et le Palais Fédéral de Berne…et évidemment la statue équestre du Général Dufour.

Revenons un peu sur la personnalité de ce dernier :
Le général Guillaume Henri Dufour, que l’on croise et recroise inlassablement, à pied, à vélo ou en voiture, au détour d’un trajet via la place de Neuve, n’est en effet autre qu’un des fondateurs de la Croix Rouge en 1863 et le au combien célèbre héros de la guerre du Sonderbund en 1847, prélude à la naissance de la Suisse moderne dotée d’une nouvelle constitution démocratique (1848). Dans un cas comme dans l’autre, connu pour ses talents stratèges et son empathie pour le sort des blessés aux champs de bataille, dont il avait eu un large aperçu lors de ses études de médecine militaire qu’il effectua avant de rentrer à l’école polytechnique de Paris.

Mais ce que l’on connait moins c’est son grand oeuvre d’ingénieur civil : on lui doit notamment :
– la 1ère carte topographique suisse, qui prendra notamment les pierres du Niton comme référence d’altitude (le plus haut sommet de Suisse, qui culmine à une altitude de 4 634 m, sera baptisé la pointe Dufour à son honneur)
– l’aménagement des quais de la rade (quai des Bergues, Grand-quai, aujourd’hui quai du Général Guisan, pont des Bergues et Ile Rousseau, tels que nous les connaissons encore aujourd’hui)
– celui du jardin botanique dans le parc des Bastions (lequel déménagera en 1904 à son emplacement actuel, laissant alors notamment place au mur des réformateurs)
– le développement de la navigation sur le lac par bateaux à vapeur, à une époque où le chemin de fer n’existait pas encore (inauguration de la première ligne en 1858)
– la création de l’école militaire de Thoune
– l’avènement d’un drapeau militaire qui soit commun pour toute la Suisse en 1840, et qui deviendra en 1889, le drapeau fédéral, enrichi toutefois de quelques modifications de dimensions par le conseil fédéral.
Ce, pour n’en citer que quelques uns….

Du fait de sa victoire au Sonderbund, le général, à son grand dam, se vit le sujet de nombreux honneurs, et d’un exceptionnel marchandising avant l’heure…Il écrira en décembre 1847 « Ces portraits m’assassinent. Mais ce n’est pas tout : il y a maintenant du tabac Dufour, des pipes idem. On fait à Paris des gâteaux Dufour, et cela a l’air d’une mauvaise plaisanterie. Je parais en crème au chocolat… c’est affreux ! »
Et sans oublier le fameux gâteau Général Dufour en mille feuille et glaçage encore confectionné de nos jours par la confiserie Hautlé en Vieille Ville…

Inauguration de la statue du Général Dufour, Place Neuve, le 2 juin 1884
(BGE, Centre d’iconographie genevoise)

Mais les honneurs ne cesseront pas avec sa disparition en 1875.
Neuf ans plus tard, en 1884, une sculpture fut érigée, par souscription nationale, à l’emplacement même de ses bureaux, qui se situait au 1er étage du bâtiment qui formait la monumentale porte Neuve, auquel on accédait par un pont-levis établi sur les larges fossés appelés la grande-mer. Le bâtiment fut démonté en 1853 (l’écusson aux armoiries de Genève qui ornait le fronton du bâtiment est d’ailleurs conservé à la maison Tavel) et les fossés comblés, créant ainsi une vaste esplanade qui deviendra la place de Neuve dont la configuration changera à peine depuis l’érection de la sculpture.

La porte Neuve vue des fossés vers 1850
(BGE, Centre d’iconographie genevoise)

Le choix iconographique du comité qui confia ce projet au sculpteur bernois Karl Alfred Lanz n’est évidemment pas neutre.
Statue équestre, bien entendu, emblème du chef militaire par excellence, qui n’est pas sans nous rappeler les fiers condottieri de la Renaissance italienne.
Mais ici, on veut honorer autant le stratège et victorieux que le pacificateur et génie civil.
Des trois postures cavalières, repos, (les quatre pattes au sol), trot (une patte antérieure levée) et galop (deux pattes levées), c’est en effet la seconde, pouvant être associée à la symbolique de la paix et de la clémence, qui fut choisie pour lui rendre hommage.
Le main droite tendue vers l’avant exprime également une retenue pacificatrice, un geste d’apaisement qui vient composer avec l’image solennelle de la statuaire équestre symbolisant la force militaire.
Et peut-être que dos à la Vieille Ville et face aux plaines de Plainpalais et aux prés des Acacias, alors en plein essor commercial, ne forme t-il pas l’écho de l’ouverture et du fort développement de Genève tout en observant du haut de son fier piédestal les incessants fracas et bouleversements de l’histoire.

Lorraine Aubert

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Lieu:
Place Neuve
1204, Genève, Suisse

Le Taureau de Luc Jaggi-Couvert: de l’abattoir au musée

Luc Jaggi-Couvert (1887-1976)
Taureau, 1947
Sculpture en granit
Exécutée en taille directe.
Signée.
Haut. :194 cm env.

La ville de Genève a commandé de nombreuses œuvres à ce sculpteur genevois originaire de l’Oberland bernois par son père et de Termignon (Savoie) par sa mère ;
Il a réalisé à la demande du maire de Termignon, las des sempiternels monuments aux morts de la Grande Guerre, une œuvre désormais célèbre figurant une femme en costume traditionnel pleurant ses enfants.
L’oeuvre fut d’ailleurs réalisée à Genève.

La promenade du taureau : de l’abattoir au musée.

Notre taureau est traité tout en force et en puissance : extrait d’un monumental bloc de granit de 10 tonnes, il est caractéristique du travail réaliste de Jaggi, une anatomie maitrisée, une attitude vive et puissante, un port de tête fier.
Le sujet est emblématique pour représenter l’animal dans sa noblesse devant les nouveaux abattoirs de Genève.

Sculpté en 1947, il fut installé dès 1949 devant les nouveaux abattoirs de la ville, à la Praille, à l’emplacement actuel du stade de Genève. Construits entre 1943 et 1949, ils remplacent en effet les anciens abattoirs municipaux de la Jonction.
 
Suite à leur fermeture en 1990, notre taureau trouvera ensuite résidence devant le Museum d’Histoire Naturelle en 1997, route de Malagnou. sous le grand cèdre, près de la marmotte dressée de Robert Hainard et du Guépard assis de Paul Bianchi ; ce, du moins, jusqu’en 2014 où la sculpture fut remisée dans le cadre d’un réaménagement du parc du Museum.
Suite aux vives protestations des genevois attachés à leur puissant bovidé, il retrouvera, après un nettoyage, une place, un peu plus éloignée, dans les Jardins du Muséum.

Luc Jaggi-Couvert dira de son art : «Ma conception ? Mais, être sincère avec moi-même ; je fais de la sculpture instinctivement et la création d’une oeuvre se fait le plus souvent en dehors de l’atelier, n’importe où. La pensée la crée et la forme, l’exécution n’est plus que joie et puis aussi déception. »

Bruno Jansem


Lieu
Museum d’Histoire Naturelle
Route de Malagnou 1,
1208 Genève

Le Monument de la Réforme

Commencer cette aventure par le mur des Réformateurs c’est approcher une des statuaires les plus fondamentales et emblématiques de la Cité, car ses ramifications et implications sont très diverses et complexes.

Dès 1902, pour commémorer le 400ème anniversaire de Jean Calvin qui aura lieu en 1909, le théologien Auguste Chantre lance l’idée de réaliser un monument à la gloire du réformateur.
Cette idée est consolidée par la création en 1904 d’un comité provisoire, puis en 1906 de l’association du monument de la réformation qui organise l’année suivante un concours ouvert aux artistes, sans limite de nationalité ou religion, dont le jury international confiera en 1908 et 1909 le projet aux architectes suisses : Eugène Monod, Alphonse Laverrière, Jean Taillens, Charles Dubois et aux sculpteurs français: Henri Bouchard, Paul Landowski.
Le projet (coût 720 000 CHF) sera financé par souscriptions privées, les genevois à hauteur de 67%, les contributions étrangères pour le restant.

Le monument sis à la promenade des Bastions est construit en pierre de Pouillenay, carrière se situant en Fanche-Comté, qui a l’indéniable avantage d’une certaine proximité avec le chantier, choix qui s’avèrera particulièrement pertinent eu égard aux dimensions importantes de l’oeuvre : Hauteur : 8 mètres – Longueur : 120 mètres.
Le choix du lieu fut âprement bataillé, mais les dimensions importantes prévues pour le monument ne laissaient pas tant de possibilités. Le Jardin Botanique qui occupait la promenade des Bastions alors, ayant déménagé en 1904, le conseil municipal accepta de mettre à disposition ce lieu pour l’érection du monument.

Le monument se compose comme suit :
– Le groupe central des 4 réformateurs (Haut. 6 m. chacun) ayant oeuvré à Genève, vêtus d’ailleurs de la robe de Genève (ou robe académique) et tenant la Petite bible du peuple chrétien à la main :
Il s’agit de Jean Calvin, Guillaume Farel, Théodore de Bèze et John Knox, sculptés conjointement par les deux sculpteurs;
– De part et d’autres, les 6 hommes d’état pionniers ou ayant défendu la Réforme en Europe et aux Etats-Unis (Haut. 3 m. chaque):
Coligny (Sculpteur : P.Landowski ou PL), Guillaume le Tacitune (PL), Le Grand électeur (Sculpteur : H.Bouchard ou HB), Roger Williams (HB), Olivier Cromwell (HB), Istvan Bocksay (PL).
– Alternant avec les moments historiques traités en bas-relief (Haut. 1,30 m, Larg : 4 m) : Premier prêche de Viret (HB), Knox à Saint-Giles (PL), Henri IV signe l’édit de Nantes (HB), Déclaration d’indépendance des Provinces-Unies (HB), l’Edit de Postdam (PL), le Pacte du Mayflower (PL), la Déclaration des Droits des anglais (PL), la diète de Kassa et la paix de Vienne (HB).

La pose de la première pierre aura lieu en avril 1909, mais les grèves des maçons, la rigueur iconographique de l’historien Charles Borgeaud en charge de ce poste, rendant ainsi la tâche et le cahier des charges des artistes plus contraignante, les délais plus importants impartis aux contributions étrangères et évidemment la 1ère Guerre Mondiale, ont beaucoup retardé les travaux qui ne seront rendus qu’en 1917. L’inauguration aura lieu le 7 juillet 1917, il y a donc aujourd’hui 100 ans.

Ce résumé permet de dégager quelques points remarquables:

Jean Calvin, une des figures dominantes de Genève, n’est représenté dans la bien-nommée Cité de Calvin, que sur un seul et unique monument public : le mur des réformateurs.
Bien qu’il y soit à l’honneur avec ses 6 mètres de hauteur, il n’y est point seul, car de genèse commémorative cette oeuvre est rapidement devenue emblème politique et non plus seulement religieux. En témoigne premièrement le choix iconographique : en dehors du groupe central, les textes mentionnés sont des textes politiques et les personnalités latérales ne représentent que des hommes politiques ou militaires ayant tous défendu une certaine forme de démocratie à travers la défense de la Réforme. Car c’est bien de cela dont il s’agit : de Démocratie dont on veut montrer que la Réforme était un des vecteurs. Et le choix des personnages particulièrement tourné vers l’international, le seul réformateur stricto sensu suisse, Pierre Viret, étant par ailleurs sensiblement absent, tend à conforter qu’il s’agit bien plus de célébrer le rayonnement de l’action de Jean Calvin et de son oeuvre que le personnage religieux. Ce faisant, il devait être également question de satisfaire ses voisins puissants, que ce soit la France avec Coligny, ou l’Allemagne avec Frédéric-Guillaume de Brandebourg. On peut en revanche s’étonner de la présence de certains personnages tels Bocksay, mais comme le mentionnera Landowski dans ses notes du 8 juin 2016:
« Etrange idée d’avoir donné dans ce monument tant d’importance à ce hongrois (Boscksay). Une statue et un bas-relief (….) la raison en serait que la Hongrie a envoyé beaucoup d’argent pour le monument et il a fallu la servir en conséquence »

Les mentions et dates inscrites sur le monument sont tout aussi signifiants, que ce soit la date de création de l’Académie de Genève 1559, devenue aujourd’hui Université de Genève, la date de l’Escalade 1602 qui défendit tant l’indépendance religieuse que politique de la Cité, sans oublier la mention de la devise de la ville : Post Tenebras Lux (après les ténèbres, la lumière).
«Le Mur n’est pas du tout un projet religieux, estime François Dermange, professeur et doyen de la Faculté de théologie. Le but visé est politique (………) Il s’agit d’affirmer que c’est à partir de Genève que s’est disséminée l’idée de la démocratie. L’héritage de Calvin, c’est l’émergence des droits de l’homme, l’émancipation des Pays-Bas, les pères fondateurs des Etats-Unis, etc.»

Le choix iconographique est donc bien primordial en ce qu’il vient servir un état, un propos politique ou idéologique, mais l’oeuvre en elle-même, que ce soit dans ses aspects stylistiques ou techniques, est également un formidable exemple dans l’histoire de la sculpture du XXème siècle.
Il n’est nul besoin de rappeler le talent des architectes de cette oeuvre, qui construisaient d’ailleurs la gare de Lausanne à la même époque, comme il n’est pas non plus utile de rappeler les nombreuses distinctions de nos deux sculpteurs français. Toutefois, il nous faut remarquer la stylisation radicale adoptée ici par ces derniers, radicalité, qui en dehors du parti pris stylistique d’une grande modernité, a sans doute été poussée à son paroxysme par la verticalité de l’oeuvre et par ce que la nature du bas et haut relief offre en terme de frontalité. Stylisation que Landowski reprendra 15 ans plus tard avec autant de modernité et de brio, pour élever le Christ Rédempteur de Rio de Janeiro, d’une hauteur de 38 mètres !, connue également sous l’appellation du Corcovado du nom du mont sur lequel il est érigé.

Quant à la technique :
Bouchard et Landowski étaient modeleurs, comme la plupart des sculpteurs, et afin de ne pas être freiné dans leur élan créateur, sachant toutes les difficultés et aléas inhérents à l’abord de la pierre, ils avaient recours à la méthode de la mise au points  (reports de points et utilisation du compas) d’après le plâtre original.
Ils créaient leur modèle en terre glaise en vue de la pierre, le moulait en plâtre, faisait éventuellement dégrossir la pierre par un artisan spécialisé le « metteur aux points » qui s’arrêtait quelques millimètres avant la fin et finissaient eux-mêmes.
Quelques exemples remarquables de ces plâtres originaux ont été conservés et font partie désormais des collections du Musée d’Art et d’Histoire, ainsi du plâtre de Coligny et de Guillaume le Taciturne.

Enfin, ce monument est le symbole même au niveau artistique de la collaboration alors fructueuse et qui allait de soi entre les architectes et les artistes autour de valeurs communes, et de la collaboration tout aussi fructueuse entres artistes suisses et étrangers.
Cela met en perspective l’actualité et en particulier la discussion relative à l’attribution du concours lancé le 8 novembre prochain pour l’aménagement global de la rade de Genève. Concours ouvert aux architectes suisses ou internationaux ?, la question a été heureusement tranchée en faveur des seconds.
Le merveilleux oeuvre qu’est le mur des Réformateurs ne peut alors que servir d’exemple, car la participation active d’artistes étrangers n’a toujours fait qu’enrichir notre patrimoine suisse et donner une lisibilité très internationale à notre cité et confédération ainsi que sa culture, tout à l’honneur d’une époque regrettée où la restriction volontairement nationaliste n’était pas encore de mise.

Lorraine Aubert

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Lieu:
Promenade des Bastions 1,
1204 Genève, Suisse